BRUXELLES (EJP)—L’Union des Déportés Juifs de Belgique-Filles et Fils de la Déportation et le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB) ont annoncé l’organisation d’un rassemblement mercredi prochain devant l’ambassade de France à Bruxelles pour exprimer leur solidarité avec le gouvernement français dans les décisions prises à l’encontre de Dieudonné M’bala M’bala.
‘’Bravo à la classe politique française qui condamne unanimement les agissements antisémites et révisonnistes de Dieudonné’’, peut-on lire sur les réseaux sociaux en Belgique.‘’Puissent nos politiques les imiter’’, ajoute-t-on.
Jeudi, le Conseil d’Etat, l’instance administrative suprême en France, a décidé d’annuler le spectacle ‘’Le Mur’’ de Dieudonné au Zénith à Nantes qui avait été autorisé quelques heures auparavant par le tribunal administratif de la ville. ‘’La République a gagné’’, a déclaré le ministre de l’Intérieur Manuel Valls en apprenant la décision du Conseil d’État.
‘’On ne peut pas tolérer la haine de l’autre, le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme, ce n’est pas possible, ce n’est pas ça la France’’, a déclaré le ministre.
‘’Le combat contre ce personnage nauséabond se poursuit’’, a-t-il ajouté.
La décision du Conseil d’État ‘’conforte la position du gouvernement’’, a réagi le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. ‘’Nous ne pouvons pas accepter que, dans notre société, il y ait la moindre complaisance avec l’antisémitisme, totalement étranger à nos valeurs et à nos principes’’.
La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a qualifié d’’’historique’’ et ‘’remarquable’’ la décision du Conseil d’État. ‘’On aura désormais une base juridique stable pour empêcher la propagation de cette idéologie négationniste qui se drape dans la liberté de création et d’expression mais qui ne relève en rien du champ de la culture ni de celui de l’humour’’, a-t-elle dit.
La justice française a annulé la demande d’interdiction du spectacle de Dieudonné qui doit se tenir ce jeudi soir à Nantes mais qu’en est-il de la Belgique? Les autorités ont-elles la possibilité d’interdire au préalable un spectacle ? Ses spectacles ont été à plusieurs reprises interdits par des autorités communales mais à chaque fois le Conseil d’Etat a cassé ces interdictions et Dieudonné a pu se présenter devant son public.
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Au mois de mars 2009, le spectacle de Dieudonné avait été mis sous haute surveillance avec 80 policiers devant la salle et une dizaine de plus à l’intérieur. Quelques dizaines de manifestants protestaient contre la tenue de ce spectacle que les autorités communales voulaient également interdire.
Mais à l’époque, le Conseil d’Etat avait tranché : cette interdiction était contraire à la liberté d’expression. Il n’est pas question, en Belgique, d’empêcher quelqu’un de s’exprimer sauf si il est prouvé qu’il y aura un trouble à l’ordre public.
Sébastien Van Drooghenbroeck, doyen de la faculté de droit de l’Université Saint-Louis de Bruxelles, rappelle le cadre juridique qui entoure ce genre de manifestations : “On se trouve là dans des possibilités de limitations préventives à une liberté, hors la Constitution belge a horreur de ce genre de limitations”.
Car pour que ces demandes de restrictions puissent être approuvées, il faut un dossier solide dans le chef des autorités communales afin qu’ils puissent “démontrer qu’il y a vraiment un risque très clair de trouble à l’ordre public en cas de spectacle tenu sur le territoire de la commune“, selon le juriste.
Des sanctions après le spectacle sont envisageables
Pour interdire au préalable, il faut donc qu’il y ait des risques très concrets de débordements. Et à deux reprises, à Saint-Josse en 2009 comme à Woluwe-Saint-Pierre en 2004, les autorités locales n’ont pas pu le démontrer.
De plus, à la tête de l’Etat, le ministère de l’intérieur n’a aucune compétence en la matière. “Autrefois, on admettait que le roi avait un pouvoir en matière de maintien de l’ordre et d’interdiction de rassemblement, par exemple“. Mais ce pouvoir n’est “plus utilisé depuis les années ’90 et est en désuétude. La responsabilité incombe donc aux autorités exécutives communales“, précise Sébastien Van Drooghenbroeck.
Les autorités gardent néanmoins des possibilités de sanctions après le spectacle, si des propos contraires aux lois antiracisme ou anti-négationnisme sont tenus.
Reste que la Belgique se distingue de la France sur la question des éventuels dommages et intérêts en cas d’interdiction de spectacle : il est impossible de les réclamer en Belgique.
Valentin Boigelot avec Grégoire Ryckmans
En Belgique, la loi communale autorise le bourgmestre (maire) d’ interdire un spectacle pour assurer le maintien de la tranquillité publique et ce, uniquement en cas de “circonstances extraordinaires”. Par ailleurs, si le spectacle a lieu et qu’à son occasion, des infractions, par exemple aux lois réprimant le racisme et la xénophobie, sont commises, rien n’empêche la justice de poursuivre celui ou celle qui s’en rendrait coupable.
Mais en 2009, le bourgmestre (maire) de la commune de Saint-Josse, à Bruxelles, avait interdit une ‘’conférence-spectacle’’ de Dieudonné en invoquant au titre de circonstance extraordinaire justifiant son interdiction, les propos du comédien lors de précédentes représentations perçus comme injurieux envers la communauté juive par une grande partie de l’opinion publique.
Mais le spectacle avait pu avoir lieu car en Belgique, le Conseil d’Etat avait suspendu, en extrême urgence, l’arrêté de police interdisant la représentation. Le Conseil d’Etat avait estimé que “le Collège des bourgmestre et échevins […] n’a pas reçu pour mission de veiller préventivement à la correction politique ou morale, voire même pénale, des spectacles et moins encore à celle, supposée, des artistes qui en donnent la représentation”.