PARIS— Dans son premier discours en tant que Président de la République lors du dîner annuel du Crif, le Conseil représentatif des institutions juives de France, mercredi soir, Emmanuel Macron a qualifié l’antisémitisme de ‘’contraire de la République’’ et ‘’déshonneur de la France’’. Il a également promis une lutte renforcée contre la haine raciste et antisémite qui prospère sur Internet.
Devant un millier d’invités, dont une quinzaine de ministres, une vingtaine d’ambassadeurs et de nombreuses personnalités politiques et du monde religieux et civil, réunis au Carrousel du Louvre, Emmanuel Macron a dit vouloir mener cette année au niveau européen ‘’un combat’’ concernant l’antisémitisme sur Internet.
‘’Il nous faut aller plus loin’’, a-t-il dit. Il a dit vouloir mener au niveau européen ‘’un combat permettant de légiférer pour contraindre les opérateurs à retirer dans les meilleurs délais’’’ les contenus haineux sur Internet.
En France, une mission sera confiée par le gouvernement à Gil Taïeb, vice-président du Crif, et à l’écrivain franco-algérien Karim Amellal sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet.
Ce combat, a-t-il souligné, ‘’doit non seulement impliquer les pouvoirs publics mais aussi la société civile et les plateformes’’.
‘’Aucune piste ne sera écartée, y compris la possibilité de légiférer dans ce domaine’’, a-t-il assuré en citant comme ‘’ exemple inspirant la législation allemande qui menace les plateformes internet de lourdes amendes en cas de diffusion de messages de haine.
Le président répondait au président du Crif, Francis Kalifat, qui avait dans son discours souhaité que les entreprises internet ‘’assument les mêmes responsabilités que les éditeurs de presse’’», soumis à un cadre juridique strict.
M.Kalifat a confirmé que le Crif allait installer un observatoire de la haine sur le Net. ‘’ Lorsque notre outil aura fait ses preuves, nous pourrons l’élargir au racisme, à la xénophobie, à l’homophobie, à la haine des musulmans et, aussi, à la haine de la France’’, a-t-il précisé. « Si nous construisons cet observatoire, c’est parce que les entreprises internet ne le font pas elles-mêmes », a-t-il déploré, ajoutant : « Peut-être faut-il les y contraindre ? »
Francis Kalifat dénonce les agressions antisémites dans certaines banlieues
Le président du Crif a dénoncé les agressions et le harcèlement antisémites dans certaines banlieues françaises, évoquant des familles qui vivent ‘’ la peur au ventre’ et sont contraintes de déménager vers des quartiers plus sûrs.
‘’Il est grand temps de restaurer l’autorité de l’État partout en France’’, a-t-il demandé, appelant ‘’une politique de tolérance zéro’’ et des ‘’sanctions exemplaires et dissuasives’’ pour contrer ‘’l’antisémitisme du quotidien’’ qui ‘’prospère dans notre pays’’. ‘’Nous sommes pris entre l’antisémitisme traditionnel surreprésenté à l’extrême droite et l’antisémitisme antisioniste surreprésenté à l’extrême gauche’’, a ajouté Francis Kalifat.
‘’Nous sommes coincés entre l’antisémitisme musulman très présent chez les 15 à 25 ans et le statut de cible privilégiée pour les terroristes islamistes’’, a-t-il souligné.
La communauté juive est la cible d’un tiers des actes haineux recensés en France alors qu’elle représente moins de 1% de la population.
Interpellé sur les ravages de cet ‘’ antisémitisme du quotidien’’, Emmanuel Macron a assuré qu’’’il ne saurait y avoir le moindre abandon des familles juives de France’’.
‘’L’État assurera sans faiblir son devoir de protection des personnes, lieux de culte, écoles et crèches’’, a-t-il promis, assurant que les aides financières dédiées à sécuriser ces lieux ‘’verront leur niveau maintenu pendant toute la durée du quinquennat’’. ‘’Jamais nous ne faiblirons dans la lutte contre ce fléau’’, a-t-il déclaré.
‘’Je le redis ce soir devant vous, avec toute la force d’un engagement public: il ne saurait y avoir demain ou après-demain le moindre renoncement de l’État, le moindre abandon des familles juives de France’’.
‘’La France est fière de compter en son sein des concitoyens de confession juive et ne se résoudra jamais aux torts qui leur sont faits à raison de cette confession. Jamais’’, a ajouté Emmanuel Macron.
‘’Notre réponse doit être implacable. La France ne serait plus elle-même si nos concitoyens juifs devaient la quitter parce qu’ils ont peur’’.
L”’affaire Céline”
Le président a également évoqué ‘’l’affaire Céline’’ après que l’éditeur Antoine Gallimard a fait savoir qu’il n’avait pas renoncé à rééditer les pamphlets antisémites de l’écrivain.
Il a déclaré qu’il désapprouvait le projet de l’éditeur, mais s’est dit ‘’heureux’’ d’un tel débat. ‘’ Il n’y a pas dans notre pays de police mémorielle et morale des éditions dans le sens où je dirais j’interdis la publication de ces écrits’’, a-t-il expliqué.
L’avocat Serge Klarsfeld, qui lutte pour la mémoire de la Shoah et a reçu avec son épouse Beate le prix du Crif 2018 lors du dîner, a redit sa ferme opposition à la réédition de ces pamphlets, même dotés d’un appareil critique.
‘’Pourquoi aujourd’hui, après tant d’agressions anti-juives, jeter de l’huile sur le feu ?’’, a-t-il fait valoir. ‘’Les orphelins des déportés, ceux qui dans leur enfance ont connu et aimé les victimes de la Shoah, n’ont pas tous disparu, ils sont encore debout. M. Gallimard, ayez la décence d’attendre notre mort pour tenter à nouveau d’inscrire ces pamphlets dans le catalogue de la Pléiade dont votre grand-père a renvoyé le créateur en application du statut des juifs !’’, a déclaré Serge Klarsfeld.
Jérusalem, capitale d’Israël
Dans son discours, le président français a laissé entendre qu’il n’entendait pas changer de position sur le statut de Jérusalem.
Le président du Crif avait souhaité auparavant qu’Emmanuel Macron, dans les pas de Donald Trump, ‘’ reconnaisse Jérusalem comme capitale d’Israël’’. ‘’Jérusalem est la capitale d’Israël ‘’, alors il ne voit pas de raisons d’attendre ‘’ pour reconnaitre cette réalité’’.
Le chef d’Etat français a répondu à cette question, d’abord sur le ton de l’humour. ‘’ Je l’ai dit à mon ami Donald Trump – parce que nous nous disons réciproquement que nous sommes amis, ce qui est vrai. Généralement, on le dit avant de dire quelque chose sur lequel nous ne sommes pas d’accord. Je pense que c’est une véritable erreur dans ce contexte.’’
‘’A un moment donné du processus, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et de la Palestine adviendra, mais cela doit venir au bon moment du processus, dans un jeu équilibré, qui avancera’’, a-t-il dit.
Pour le président français, la sécurité d’Israël est une ‘’ priorité absolue’’ et n’est pas ‘’négociable’’.