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Moise Katumbi, candidat à la présidence de la République démocratique du Congo, fils d’un juif grec qui a fui les nazis, s’est souvenu de ses grands-parents assassinés à Auschwitz

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Moise Katumbi est le fils de Nissim Soriano, un juif grec de l’île de Rhodes qui a fui les nazis et s’est établi au Congo. Ses grands-parents ont été déportés à Auschwitz où ils sont morts.

Katumbi s’est rendu les 8 et 9 novembre pour la première fois dans l’ancien camp de la mort nazi avec une délégation de quelque 150 ministres, parlementaires et diplomates de toute l’Europe dans le cadre d’un événement organisé par l’Association juive européenne (EJA) à l’occasion du 83e anniversaire de la Nuit de cristal, le pogrom anti-juif de 1938.

”Pour le triste anniversaire de la Nuit de cristal, je me suis rendu à Auschwitz avec l’Association juive européenne. J’ai prié pour toutes les victimes, y compris mes grands-parents. N’oublions jamais cette folie meurtrière, travaillons toujours pour la paix en République Démocratiue du Congo et partout ailleurs”, a écrit Moise Katumbi sur sa page Facebook.

L’homme d’affaires de 56 ans et ancien gouverneur de la province du Katanga, parfois surnommé le “Obama de l’Afrique”, est l’un des hommes politiques les plus puissants de la République démocratique du Congo, le pays le plus vaste et le plus peuplé d’Afrique subsaharienne. Personnalité non conventionnelle, il a dû vivre en exil sous l’ancien président Kabila avant de revenir dans son pays en 2019. Aujourd’hui, il est le leader du parti ”Ensemble pour la République”. Selon certains sondages, il est le candidat ayant le plus grand soutien en vue de la prochaine élection présidentielle au Congo prévue en 2023.

Cependant, des parlementaires de son pays ont introduit un projet de loi limitant la présidence à ceux qui ont deux parents congolais, dans le but de disqualifier le populaire Katumbi et de bloquer sa candidature à la présidence. Cette loi, appelée ”Congolité”, a provoqué une tempête politique dans le pays et à l’extérieur.

Dans une interview conjointe pour European Jewish Press et Radio Judaica Brussels, à Cracovie, en Pologne, Moise Katumbi a expliqué son sentiment d’avoir été à Auschwitz et ses espoirs pour son pays.

Moise Katumbi, vous êtes ici à Cracovie les 8 et 9 novembre dans le cadre de la délégation de l’Association juive européenne à Auschwitz. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

MK : Je ne peux même pas expliquer mon émotion. C’est une grande joie pour moi car je suis né dans un petit village de la République démocratique du Congo. Mon père était juif et il a pu échapper aux nazis en fuyant de l’île de Rhodes. Mes grands-parents ont été arrêtés, déportés à Auschwitz et tués dans le camp de concentration. Seule la petite sœur de mon père, ma tante, a survécu. Pour moi, je ressens quelque chose et c’est une grande joie de participer à cette cérémonie 83 ans plus tard. Je ne sais pas comment vous l’expliquer. Mais là où sont mes grands-parents, ils savent que je suis ici …..

Est-ce la première fois que vous vous rendez à Auschwitz ?

MK : Oui, c’est la première fois parce que vous savez, nous avons étudié en cours d’histoire et aussi ma famille m’a raconté ce qui s’est passé. Ma tante, qui est décédée à l’âge de 87 ans, me parlait des camps où elle a vécu presque comme une esclave à l’âge de 13 ans et c’est donc une longue histoire pour moi.

C’est un devoir de mémoire pour votre famille ?

MK : En mémoire de ma famille et de tous les Juifs qui ont été tués. L’Holocauste est une histoire qui ne doit pas être répétée dans le monde. Les Juifs ont beaucoup souffert. Je suis l’un des rares politiciens africains à avoir un parent juif. Je souffre encore aujourd’hui car dans mon pays, on veut faire passer cette loi parce que mon père est juif, à cause de ma popularité, parce que j’ai fait de bonnes choses. J’ai été le gouverneur le mieux élu de la République démocratique du Congo. Ils veulent créer une loi, appelée “Congolité”, qui vous oblige à avoir un père et une mère congolais pour pouvoir être candidat. Cette histoire doit cesser car les Juifs continuent d’être persécutés partout.

Que pensez-vous des relations entre la RDC et Israël dans le cadre de ce “nouveau Moyen-Orient” qui se crée ?

MK : Le Congo a toujours eu de très bonnes relations avec Israël. A l’époque, c’était avec le maréchal Mobutu. Puis il s’est retourné contre Israël, je ne sais pas pourquoi. Mais le peuple israélien est un peuple très pacifique. Beaucoup de Congolais viennent en Israël. Nous voulons renforcer nos relations avec Israël car nous avons beaucoup à apprendre de l’histoire d’Israël et de son peuple qui est parti de rien pour construire un pays. Si vous regardez aujourd’hui dans le domaine de l’agriculture ou de l’armée, ils ont une armée très forte. Le Congo souffre. Nous avons besoin d’Israël pour former notre armée également.

Y a-t-il une communauté juive au Congo ?

MK : Il n’y a pas beaucoup de Juifs aujourd’hui. Mais je vais vous dire ceci : la plus ancienne synagogue d’Afrique centrale se trouve à Lubumbashi. Mon cousin détient les clés de cette synagogue. Il n’y a pas de rabbin pour le moment mais l’esprit est là. La synagogue est là, il y a quelques juifs. Ils ne sont pas nombreux mais ils sont présents.

 Nous sommes ici à Cracovie avec des questions centrales sur l’avenir de la communauté juive en Europe. Avec la montée de l’antisémitisme en Europe. Le Congo est en Afrique. Voyez-vous de l’antisémitisme dans votre pays ?

MK : Par rapport à la population congolaise, pas du tout. Une population qui respecte beaucoup le peuple juif parce qu’elle sait que les juifs sont bénis de Dieu. Mais au niveau politique, c’est là qu’on veut ressusciter les vieux démons en disant que les juifs sont partout, que je ne serai pas fidèle au pays parce que mon père est juif ….. Mais j’ai été le meilleur gouverneur de la République démocratique du Congo et on n’a pas dit que mon père était juif. Pour la population congolaise, j’ai fait un bon travail, c’est tout…

Donc le fait que votre père était juif ne vous a pas posé de problème dans votre carrière ?

MK : Pour la population, non, sauf pour les politiciens parce que ma popularité a augmenté à cause des bonnes choses que j’ai faites. J’étais le gouverneur le plus entreprenant, j’ai été félicité par la Banque mondiale, donc j’ai pu conserver ma popularité. Lorsque je suis revenu d’exil, plus de 1,3 million de personnes sont venues m’accueillir et me remercier. Jusqu’à aujourd’hui, ma famille est respectée mais en termes de politique, c’est là qu’on entend “son père est juif et il pourrait un jour trahir le pays”. C’est très dommage.

Quel est, selon vous, le lien entre tout cela ? Y a-t-il un lien entre les origines juives de votre père et la politique en Israël ?

MK : Non. Il y a un lien avec les politiciens mais pas avec le peuple congolais. Les politiciens ne pensent qu’à leur propre intérêt, aux critiques inutiles, au succès d’Israël. J’aime aller en Israël de temps en temps. Lorsque j’étais gouverneur, j’ai été invité par le Premier ministre (de l’époque) Netanyahu, avec 180 gouverneurs du monde entier. Nous avons vu le travail effectué dans ce pays. Au lieu que les gens apprennent ce qui se fait en Israël, son succès, c’est la jalousie et la haine que nous voyons. C’est ce qui se passe dans ma carrière politique aussi : jalousie et haine. Ils doivent venir et apprendre d’Israël…….”

Etes-vous confiant que la ”loi Congolité” sera modifiée sous l’actuel Président Félix Tshisekedi ?

MK : Le Président Tshisekedi n’est pas d’accord avec cette loi et d’autres politiciens aussi. Vous savez, en Afrique, ce qui est triste, c’est que nous pouvons rejeter cette loi mais ils vont créer d’autres faux cas et je sens les choses venir….. Le monde entier a condamné cette loi, y compris les États-Unis et les Nations Unies. Aujourd’hui, ils ne dorment pas et essaient de créer d’autres problèmes inutiles.

Moise Katumbi, aujourd’hui, 8 novembre, a été riche en discours de dirigeants européens, mais aussi d’un ministre marocain et du vôtre. Qu’attendez-vous de cette délégation de l’Association juive européenne ? Avez-vous des attentes en matière de lutte contre l’antisémitisme ?

MK : Pour moi, c’est tout d’abord une journée inoubliable. Je suis en train d’écrire un livre et je n’ai pas pu parler longtemps. Ce que nous attendons de cette association, c’est d’aller partout, de continuer à éduquer les gens, de continuer à rassembler cette tolérance. C’est ce qui fera avancer le monde. Nous ne pouvons pas construire le monde avec la haine mais avec l’amour. Ce qui s’est passé ici en Pologne est inoubliable. Mais les Juifs ont déjà pardonné, car ce qui compte, c’est l’amour. Nous ne devons pas encourager les personnes qui veulent nuire au peuple juif.

Lors de la conférence de Cracovie, tout le monde a parlé d’idées, de mécanismes pour mieux lutter contre l’antisémitisme, pour mieux éduquer à la Shoah car c’est un fait que les livres d’histoire ne suffisent plus. Si vous devenez président de la République démocratique du Congo, que mettrez-vous en place pour lutter contre l’antisémitisme, pour mieux éduquer sur la Shoah afin que cet antisémitisme actuel cesse ou du moins soit moins important qu’il ne l’est aujourd’hui ?

MK : Je vais vous dire une chose : lorsque j’étais gouverneur, la synagogue a été spoliée par une secte de pasteurs. J’ai dû la rendre à la communauté juive de Lubumbashi. Si je devais devenir un jour président de la RDC, je commencerais par renforcer le partenariat et demander à des experts, des professeurs qui ne sont plus en fonction, des retraités, de parler de la Shoah car on n’en parle pas assez. Venez éduquer nos jeunes parce que ce que nous vivons aujourd’hui dans notre pays, la guerre à l’est du Congo, il y a des gens qui sont tués tous les jours. Le Congo a perdu  au moins 5 millions de personnes, on n’en parle pas assez, mais avec l’expérience de l’Holocauste du peuple juif, je crois que cela peut renforcer nos liens et bannir toutes ces tueries dans notre pays. Tolérance de l’autre. Prendre ce qui est bon dans l’autre pour qu’il y ait de bonnes choses. Mettons de côté la haine. Le monde a besoin d’amour.

Interview réalisée par Yossi Lempkowicz, rédacteur en chef European Jewish Press, et Asley Santoro, reporter Radio Judaica Bruxelles.

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