Vendredi, 20 déc. 2024 - 19 of Kislev, 5785

Texte du discours de la Première ministre Élisabeth Borne au 37ème dîner du Crif

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Voici le texte complet du discours de la Première ministre Élisabeth Borne lors du 37ème dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France:

Madame la Présidente de l’Assemblée nationale,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Messieurs les Premiers ministres,

Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Madame la maire de Paris,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,

Monsieur le président du consistoire central,

Monsieur le Grand rabbin de France,

Mesdames et messieurs les responsables des cultes,

Monsieur le président du CRIF, cher Yonathan ARFI,

Mesdames et Messieurs,

Il y a des dates, qui marquent un destin.

Pour mon père, mais en réalité pour toute ma famille, c’est le 25 décembre 1943.

Ce jour-là, avec mon grand-père et mes oncles, il a été arrêté par la gestapo.

Puis ce furent les wagons plombés, les ordres, les coups, les humiliations.

Drancy, Auschwitz.

Ils étaient 1250 au départ. 6 sont revenus.

Ce qui s’est passé là-bas, mon père l’a écrit dans deux lettres – qui sont le seul témoignage que je conserve de lui.

Ce qui s’est passé là-bas, certaines de vos familles l’ont vécu.

Des témoins nous l’ont dit.

Bien des ouvrages et des films l’ont montré.

Mais je crois que personne ne peut vraiment l’imaginer.

Celles et ceux qui ont pris ces trains vers l’Est ont vu en face les abîmes auxquels pouvait conduire la haine et les frontières de l’Humanité.

Pour toutes celles et ceux qui sont revenus, une vie différente commençait.

Certains ont réussi à garder le goût de l’espérance et la foi dans la vie.

D’autres non. Je ne le sais que trop bien.

Mesdames et Messieurs,

Vous le comprenez, prendre la parole devant vous, ce soir, a un écho particulier pour moi.

Et notre devoir, c’est de faire en sorte que jamais l’Histoire ne se répète.

C’est combattre, de toutes nos forces l’antisémitisme, partout où il se montre, partout où il frappe, partout où il se cache.

Mesdames et Messieurs,

Ce combat, je sais que c’est le vôtre.

C’est celui du CRIF à Paris, comme dans tous les territoires.

Je veux ici saluer le travail mené par Francis KALIFAT.

A la tête du CRIF pendant 6 ans, vous avez été un partenaire résolu et exigeant.

Vous avez lutté sans relâche contre l’antisémitisme et pour la sécurité des juifs de France.

Au nom du Gouvernement, je veux vous remercier.

Cher Yonathan ARFI, vous avez désormais cette tâche de porter la voix et les combats du CRIF.

Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger, à plusieurs reprises. Je connais votre énergie et votre volonté ; votre envie d’agir et votre détermination.

Je ne forme qu’un vœu : celui du travail commun. Un travail constructif, qui a déjà commencé. Nous en parlions la semaine dernière encore : nous avons à cœur de réussir ensemble.

Mesdames et Messieurs,

8 décennies après l’indicible, une question s’impose : où en sommes-nous ?

Quel chemin avons-nous parcouru ?

Des avancées ont été réalisées, bien sûr – et heureusement.

Les Gouvernements qui se sont succédé ont œuvré à réconcilier la Nation et réaffirmé les valeurs de la République.

Je veux saluer, ici, la présence et l’engagement des Premiers ministres Manuel VALLS et Bernard CAZENEUVE.

Le combat contre l’antisémitisme s’inscrit dans le temps. Il dépasse largement les clivages politiques.

Au fil des années, nous avons avancé sur le sentier de la mémoire.

En Normandie, dans les mois qui ont suivi son retour des camps, mon père avait commencé à parler, jusqu’à ce qu’on lui dise qu’il valait mieux se taire, que rien de tout cela ne n’avait eu lieu.

Certains ont voulu poser une chape de silence sur le passé.

Certains voudraient aujourd’hui réécrire, minimiser, organiser une indécente concurrence des mémoires.

Il a fallu du temps. Il a fallu de la détermination. Il a fallu de l’acharnement.

En 1995, avec Jacques CHIRAC, notre pays a enfin vraiment ouvert les yeux.

Peu à peu, partout en France, la vérité s’est dévoilée, jusqu’aux commémorations, il y a quelques mois, des 80 ans de la rafle du Vel d’Hiv, et l’inauguration du mémorial de Pithiviers par le Président de la République.

Mais alors que les voix des témoins s’éteignent – et je pense ici à Elie BUZYN, témoin parmi les témoins –, et bien que leurs mots résonnent encore dans les esprits de milliers de jeunes, nous devons trouver les moyens pour que, jamais, l’oubli et l’ombre ne gagnent.

Alors, nous continuerons à faire savoir. Nous ne cèderons jamais rien aux faussaires de l’Histoire.

Ces dernières années, nous avons augmenté considérablement les moyens consacrés à nos lieux de mémoire.

Depuis 2017, notre soutien au Mémorial de la Shoah a plus que doublé, et nous avons multiplié par près de quatre le soutien au mémorial du Camps des milles.

Grâce à ces aides, ce sont des milliers de jeunes en plus, qui ont pu voir l’horreur et comprendre le sens du mot mémoire.

Nous continuerons aussi à réparer les spoliations du passé.

Je suis fière d’avoir pu, peu après mon arrivée à Matignon, présider la cérémonie de restitution d’ouvrages pillés à Georges MANDEL.

Fière que 2022 ait été une année historique, avec le vote d’une loi de restitution de quinze œuvres d’art.

Fière que le Rosier sous les arbres de KLIMT retrouve la famille à laquelle il avait été arraché.

C’est faire œuvre de justice. Et nous continuerons. Comme cela a été annoncé, nous examinerons prochainement une loi-cadre pour accélérer la restitution des œuvres spoliées.

Mesdames et Messieurs,

Transmettre, réparer, faire vivre la mémoire : c’est d’abord pour notre jeunesse que nous le faisons.

C’est souvent dans l’esprit des jeunes que s’ancrent les préjugés, les stéréotypes et le poison du relativisme – voire du négationnisme.

Alors, nous devons mener, impérativement, la bataille de la jeunesse. Et nous l’emporterons.

C’est pourquoi, j’ai annoncé, il y a deux semaines, que chaque élève de France devrait désormais effectuer au moins une visite d’un lieu de mémoire au cours de sa scolarité.

C’est en voyant, que notre jeunesse comprendra. Que notre jeunesse réagira.

Mais nous le savons, la bataille des préjugés se jouent à l’école, au collège, au lycée.

Dans certains établissements, tout ne peut pas être dit. Tout ne peut pas être enseigné et certaines insultes sont banalisées.

Nous ne devons pas l’ignorer ou le minimiser.

Nous le devons encore moins, quand cela conduit trop de jeunes à préférer quitter l’école de la République.

Là encore, je veux le dire : la Shoah doit pouvoir être enseignée dans toutes les salles de classe, sans exception.

Nous agissons avec détermination.

Des équipes ont été mises en place au niveau national comme dans toutes les académies, pour accompagner les enseignants et les personnels des établissements, en cas de problème dans une classe.

Je suis très claire : nous ne devons rien laisser passer.

Mesdames et Messieurs,

Ne rien laisser passer, c’est aussi ce que nous voulons pour votre sécurité.

En 2019, le Président de la République avait appelé au temps des actes.

Car ce ne sont ni les mots, ni les indignations, ni les hommages, qui vous protègent et rendent justice.

C’est de notre action résolue, de notre détermination inflexible, que viennent les résultats.

C’est pourquoi, depuis plus de 5 ans, sous l’égide du Président de la République, nous luttons dans tous les domaines, dans tous les pans de la société.

Au cours de l’année 2022, le nombre de faits antisémites a reculé de plus d’un quart par rapport à 2021. Une diminution de près de 40%, par rapport à l’année 2019.

Ce sont des progrès. Ne nous privons pas de les relever.

Mais tant qu’il y aura des insultes, des attaques et des meurtres, nous devrons continuer à agir.

Et je veux ici, à mon tour, avoir une pensée pour la famille d’Ilan HALIMI, assassiné il y a 17 ans.

Aujourd’hui encore, il y a plus d’un acte antisémite par jour, recensé par les forces de l’ordre.

Et je sais qu’ils ne représentent qu’une petite partie de la réalité, car 80% des faits ne donnent pas lieu à des dépôts de plainte.

Aujourd’hui encore, les juifs de France sont parmi les premières cibles de l’Islam radical, qui vous menace et s’en prend ainsi à la République toute entière.

Ces dernières années, nous avons pris des mesures sans précédent.

Et les résultats obtenus ne sont certainement pas le signe qu’il faut arrêter. Ils signifient, au contraire, que nous allons dans la bonne direction – et qu’il faut continuer.

A l’initiative du Président de la République, nous avons engagé, totalement, résolument, le combat contre le séparatisme islamiste, en nous dotant des outils dont nous avions besoin.

Nous continuons. Nous avons pris des décisions fortes. Depuis 2019, 27 associations qui professaient la haine ont été dissoutes.

J’ajoute que nous traquons l’antisémitisme partout où il se trouve. Nous nous attaquons aussi aux associations d’extrême droite qui refusent nos valeurs. Il y a deux semaines encore, le groupuscule « Bordeaux Nationaliste », ouvertement antisémite, a été dissous en Conseil des ministres.

Pour la sécurité du culte, de la mémoire, des familles, nous avons soutenu la sécurisation des synagogues, des centres confessionnels, des lieux de mémoire et d’enseignement. En 2021 et 2022, l’État s’est engagé pour des projets concrets, dans toute la France.

L’année dernière, c’est par exemple la synagogue Hazon Ovadia de Marseille ou encore l’école Chné-Or à Aubervilliers, dont nous avons financé la sécurisation.

L’année dernière, le nombre d’atteintes aux lieux de culte et aux sépultures juives a baissé de 40%.

En parallèle, nous avons mené un effort de formation sans précédent des policiers et des gendarmes, pour les alerter et mieux prendre en compte l’antisémitisme.

Je veux insister là-dessus : beaucoup de faits restent impunis, faute de plaintes.

Je sais que l’acte de porter plainte est difficile. Qu’il provoque des inquiétudes et ravive des douleurs.

Mais personne ne doit hésiter à porter plainte. C’est la seule voie vers la Justice.

C’est pourquoi, j’ai annoncé en janvier des mesures supplémentaires pour faciliter le dépôt de plainte, par exemple dans les locaux des associations.

Nous continuons également notre travail vers le dépôt de plainte en ligne.

Mais je sais également que la sécurité et la confiance viendront d’une réponse pénale ferme.

Il faut que les faits commis soient sanctionnés.

Chacun garde ici à l’esprit le souvenir douloureux de la mort de Sarah HALIMI.

La consommation de drogue ne peut pas, ne doit pas tout expliquer, tout excuser.

C’est pourquoi, dans une loi promulguée l’année dernière, nous avons fait évoluer notre droit pour mieux encadrer l’irresponsabilité pénale en cas de consommation de stupéfiants.

Je souhaite également que toutes les peines soient exécutées.

Certains ont tenu des propos odieux, ont été condamnés, se sont parfois prêtés à d’étranges excuses, mais n’ont jamais purgé de peine.

Ce ne sont ni des martyrs, ni des libres-penseurs.

Ce sont des délinquants, rien de plus. Et comme tous les délinquants, ils doivent répondre de leurs actes.

C’est pourquoi je souhaite, que des mandats d’arrêts puissent être émis pour les personnes condamnées à des peines de prison, après avoir dévoyé la liberté d’expression, par l’incitation à la haine, la contestation de crime contre l’Humanité ou la diffamation à caractère raciste ou antisémite.

Mais je le sais, aujourd’hui, beaucoup ne s’expriment pas à visage découvert.

Lâchement dissimulés dans l’anonymat des réseaux sociaux, des milliers de personnes déversent chaque jour leur haine et leurs théories du complot.

Chaque jour, des femmes et des hommes sont insultées, menacées et harcelées sur internet.

Là encore, nous agissons.

Nous avons considérablement renforcé les moyens de la plateforme PHAROS, qui permet de signaler les contenus haineux en ligne.

Je souhaite que nous allions encore plus loin.

PHAROS doit être couplé avec un dispositif de retrait des contenus. Je veux ainsi que nous créions un dispositif unique, capable d’assurer à la fois le retrait des contenus illicites puis leur traitement judiciaire.

Mais ce combat pour la régulation du numérique et d’internet, doit être mené plus largement encore, au niveau européen.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne a permis des avancées majeures, notamment avec l’adoption du règlement sur les services numériques, qui met au premier rang la question de la responsabilité des plateformes.

Enfin, si nous combattons toutes les agressions, toutes les insultes, nous ne pouvons pas accepter, non plus, ceux qui gardent le silence face à l’antisémitisme.

Ceux qui n’excusent pas vraiment, mais trouvent toujours un « mais ».

Ceux dont l’indignation est variable, et qui invitent ou défilent avec des antisémites notoires.

Je sais l’émotion parmi vous, provoquée par une proposition de résolution à l’Assemblée nationale, l’été dernier.

C’était une proposition outrancière et choquante.

Je l’avais personnellement dénoncée dans l’hémicycle.

Et je regrette que certains, par calcul ou électoralisme, choisissent la provocation et la division.

De notre côté, notre conviction est claire : il n’y a aucune justification à l’antisémitisme.

Il n’y a pas d’antisémitisme modéré, acceptable ou comique.

Il n’y a que de la haine, sous différents visages.

Pour combattre au mieux l’antisémitisme, nous devions donc le définir et le nommer, au plus près de sa réalité.

C’est pourquoi, comme le Président de la République s’y était engagé devant vous en 2019, nous avons adopté la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah.

La critique d’Israël en tant qu’État, l’antisionisme, ne doivent jamais être les paravents de la haine.

*

Mesdames et Messieurs,

Chaque année, ce dîner est l’occasion de revenir sur notre Histoire, dans sa complexité, dans ses heures glorieuses et dans ses drames, dans ses pages plus ou moins connues.

Cette histoire est ancienne.

C’est à Rouen, sous la cour du Palais de Justice, que l’on trouve la Maison sublime, sans doute le plus ancien monument juif d’Europe.

Quand on creuse la terre de France, on retrouve les traces du judaïsme.

Citoyens à part entière depuis la Révolution, les juifs de France ont écrit certaines des grandes pages de notre République.

Au cours des années, des Français de confession juive, ont pris pleinement part à notre vie démocratique.

Leurs noms sont devenus synonymes de progrès sociaux et de droits nouveaux, qui, aujourd’hui encore, marquent notre pays.

Depuis des siècles, ils contribuent aux réflexions philosophiques, à notre culture, à nos grandes découvertes scientifiques et à l’identité même de notre Nation.

Une part de ce qui nous rassemble, et fait de nous des Français, a aussi été construit, enrichi, façonné, par les juifs de France.

Vous avez, Monsieur le Président ARFI, cité quelques figures.

Et montré le dialogue et les liens entre les Français de confession juive et les Français d’autres religions ou athées.

Ce dialogue, nous pourrions le prolonger encore longtemps.

Car aujourd’hui, toujours, aux côtés de Français de tous les cultes, les juifs de France participent pleinement, et sans distinction, à la vie de la Nation.

Alors, devant vous, à nouveau, je l’affirme avec force :

Vous prendre pour cible,

Vous attaquer,

C’est tourner le dos à la République.

C’est tourner le dos à notre Histoire.

C’est tourner le dos à ce qui fait notre pays.

En combattant la haine, c’est notre jeunesse que nous protégeons.

Car nous voulons construire pour elle, un pays de laïcité, d’universalisme, de liberté.

Oui, ce dîner est aussi un hymne à la liberté, bien au-delà des religions.

Et le prix que vous avez choisi de remettre ce soir, en est la preuve.

Car ce que vous défendez,

C’est le droit de vivre libre, et en sécurité.

C’est la volonté de continuer à écrire l’avenir de la France.

Mesdames et Messieurs,

« Que la France vive heureuse et prospère. Qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde. »

Ces mots, certains les reconnaissent sans doute.

Ils sont ceux de la prière à la République, lue dans les synagogues.

Ce soir, avec vous, je veux participer à bâtir cette union et cette concorde.

Je veux participer, avec vous, à défendre la République et ses valeurs.

Alors, c’est avec espoir – mais aussi avec détermination, que je conclus.

Nous ne cèderons jamais rien face à la haine.

Et c’est bien l’unité et la liberté, qui l’emporteront.

Vive la République ! Vive la France !

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