Une analyse géopolitique de El Mehdi Talib
L’équilibre de l’ordre mondial n’a jamais été aussi instable que depuis la fin du dernier siècle. On dirait que l’histoire de l’homme s’accélère, en phase avec l’accélération du progrès technologique. La mondialisation a ouvert une voie rapide à l’émergence de plusieurs puissances. Le système de polarité est devenu très changeant.
Ainsi, la fin du système bipolaire, où USA et URSS œuvraient comme les deux seules puissances capables d’imposer un état de recouvrement (overlay) à tous les autres pays qui n’avaient d’autres choix que s’allier à l’une d’elles, a laissé champ libre aux États-Unis comme seule puissance dans un système devenu unipolaire depuis la dislocation du bloc Soviétique. Le maître du monde domine les institutions internationales et décide seul de l’action à mener : première guerre du Golf, guerre du Kosovo, intervention en Afghanistan, deuxième guerre du Golf, sanctions contre l’Iran et la Corée-du-Nord…
Car être un samouraï est vraiment un lourd fardeau, les États-Unis s’épuisent rapidement ; Samuel Huntington évoque un monde uni-multipolaire[1], dans lequel émergent, à côté de la superpuissance américaine, cinq autres puissances : Chine, Russie, Union Européenne, Inde et Brésil. De ces émergés émerge un émergeant : la Chine, qui réduit fortement l’écart avec l’hégémon américain.
Comme l’explique Kenneth Organski dans son livre intitulé ‘théorie de la transition du pouvoir’ : le monde uni-multipolaire est le système dont l’équilibre est le plus instable de tous les systèmes, car l’hégémon ne peut plus décider seul, il est dans la nécessité d’œuvrer avec les uns et les autres, sous peine de se trouver face à une alliance de puissances contre lui. Cette instabilité de l’équilibre a encore été mise à l’épreuve par l’ampleur de la crise sanitaire actuelle liée au Covid-19, qui envenime la tension entre les USA et la Chine, et qui a dévoilé une sorte d’unilatéralisme entre pays.
Organski a défini les trois systèmes de gouvernance possibles : le système de polarité, le système d’hiérarchie et le système d’anarchie[2] . Dès lors, la question qui se pose est :
Lequel parmi ces trois systèmes, remplacerait-il le système actuel ?
Pour répondre à cette question objectivement, j’ai choisi d’aborder ce sujet par la partie émergée de l’iceberg. Je commencerai par rappeler les faits, et je poursuivrai mon analyse par émettre une hypothèse de ce qui pourrait -et non ce qui devrait- advenir. Ma démarche sera donc une démarche réaliste et non idéaliste ; elle relatera les faits comme ils sont, non comme ils devraient être. Je soulèverai également la question de l’impact de la crise sanitaire du Covid 19 sur la géopolitique mondiale.
[1] Article publié par Samuel Huntington dans Foreign Affairs (March/April 1999) intitulé ‘The Lonely Superpower’.
[2] ORGANSKI, A.F.K., World Politics, Editions Alfred A. Knof, New York, 1958, p.437.
Chaque crise économique soulève la question du déclin des États-Unis. Or, en réalité, il ne s’agit que d’une métaphore, car ce ne sont pas ces derniers qui ont décliné, mais ce sont plutôt les autres puissances qui ont émergé. Cette émergence suggère une question pertinente : Comment se fait-il que les États-Unis se sont laissés talonnés ?
Pour répondre à cette question, il n’est pas inutile de rappeler que la puissance s’exerce à trois niveaux : le niveau militaire, le niveau économique et le niveau des relations internationales. Ce dernier concerne la gestion des problèmes liés à la migration, la drogue, le terrorisme et les pandémies. C’est notamment à ce troisième niveau qu’une puissance peut faillir, car la gestion de ces problèmes demande une intelligence (smart power) dans la combinaison entre la puissance douce (soft power) et la puissance dure (hard power). Une puissance qui use du soft power pour gérer ces problèmes, aura un résultat à somme positive, car une diplomatie bien menée fait gagner toutes les parties. À l’inverse, si elle use du hard power, elle aura dans le meilleur des cas un résultat à somme nulle, avec un gagnant et un perdant, et dans le pire des cas un résultat à somme négative où toutes les parties seront perdantes.
Je veux en revenir à dire que les États-Unis, parce qu’ils considèrent que le monde est leur voisinage, interviennent partout dans le globe, pour lutter contre le terrorisme et contre l’axe du mal (rogue states)[3]. L’arrivée au pouvoir des néoconservateurs qui appartiennent au courant politique appelé ‘Rousseauisme’, a conduit les USA à privilégier la force pour mener cette lutte, afin d’imposer le modèle culturel américain, modèle que les Anglais avait nommé : la Destinée Manifeste (the Manifest Destiny), lorsqu’ils ont débarqué dans le ‘Mayflower’ en 1620.
Cette politique a mis les Etats-Unis face à des milices armées, dans une nouvelle forme de guerre ; une forme qu’ils ne connaissent pas, et que Martin Van Creveld évoque dans son livre ‘la transformation de la guerre’ : « Selon nous, les armées les plus puissantes et les mieux équipées sont, dès à présent, largement inadaptées à la guerre moderne : en vérité leur adaptation est inversement proportionnelle à leur modernité »[4]. Les néoconservateurs répondent par une stratégie appelée : la Pentagone’s Map de Barnett[5]. Il s’agit d’avoir dans chaque région du monde un état soudure appelé ’pivot géopolitique’, capable d’intervenir contre les ‘rogue states’ et de participer aux coûts. Pour la région du Golf par exemple, l’Arabie Saoudite est l’état pivot pour contrer l’Iran.
[3] Jacques Beltran (Les États-Unis et le concept de Rogue States : la fin du containment ? IFRI, Paris, 2001). Concept de « l’axe du mal » de l’administration néoconservatrice américaine au début de l’année 2002 (Cuba, Soudan, Syrie, Iran, Irak, Libye, Corée du Nord).
[4] Martin Van Creveld (op. cit., p. 53).
[5] Thomas P.M. Barnett (April 22, 2004). The Pentagon’s New Map. Putnam Publishing Group
Arabie Saoudite : pivot géopolitique contre l’Iran
Grâce à leur force militaire et économique, les Etats-Unis restent la nation la plus puissante du monde, mais comme le souligne Christian Chavagneux dans ‘Économie politique internationale de 2004’ : « ils profitent de la mondialisation mais ne la contrôlent pas »[1]. Ce propos se confirme largement, car pendant que les Etats-Unis se détournent de l’essentiel, en menant une guerre en Afghanistan et en Irak, d’autres états profitent de l’occasion pour occuper le vide économique et stratégique, notamment les pays de l’Asie, dont la production représente désormais plus de la moitié de la production mondiale[2].
La Chine quant à elle, profite pour adhérer à l’organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, et grignoter des parts de marché dans tous les continents, et ce grâce à une stratégie apparente de soft power (du moins pour l’heure) : la stratégie du ‘jeu de go’. Pour rappel, le jeu de société le plus connu en Asie est le ‘jeu de go’ qui, contrairement au ‘jeu d’échec’ répandu en Occident, ne cherche pas à éliminer l’adversaire mais plutôt à l’assimiler. Dans ce jeu, chaque partie cherche à gagner des territoires, en encerclant l’adversaire qui devient prisonnier.
Alors que la vision occidentale est une vision binaire qui voit le monde en bien et mal, les Chinois s’adaptent aux situations et surfent sur la vague, en se montrant tantôt faibles tantôt forts, tantôt passifs tantôt actifs : c’est le principe du Yin et du Yang qu’on trouve dans la stratégie de ‘l’art de la guerre’ de Sun Tzu (500 av. J.-C.), que Mao a repris dans son livre intitulé ‘l’art suprême de la guerre’. Ce principe vise à soumettre l’ennemi sans combat : « la guerre repose sur le mensonge ; capable, passez pour incapable ; prêt au combat, ne le laissez pas voir ; proche, semblez donc loin ; loin, semblez donc proche. Attirez l’adversaire par la promesse d’un avantage ; prenez-le au piège en feignant le désordre ; s’il se concentre, défendez-vous ; s’il est fort, évitez-le »[3].
[6] CHAVAGNEUX, Christian. Économie politique internationale, Paris, La Découverte, 2004.
[7] World Economic Forum, annual meeting, Davos-Klosters, Switzerland, 21-24 January 2020
Par ailleurs, la Chine, en raison de sa politique d’abstention d’intervenir dans les affaires intérieures des états, a eu la confiance de ses partenaires et a pu élargir sa sphère d’influence, un peu partout dans le globe. Ces conditions ont valu à la Chine une croissance à deux chiffres pendant plusieurs années, et actuellement une croissance autour de 6 %. Même si le PIB chinois par habitant reste de loin très inférieur à celui des États-Unis, son PIB global a généré une réserve budgétaire de plus de 2500 milliards de dollars qui lui a permis d’augmenter son budget militaire d’environ 8% d’année en année, d’appliquer une politique du ‘Go Out Policy’[4], c’est-à-dire investir partout dans le globe, et d’octroyer des prêts de plusieurs milliards de dollars qu’aucun autre pays n’est capable de faire. La Chine a prêté à titre d’exemple 9 milliards de dollars à la République démocratique du Congo[5].
Cette politique a permis aux sociétés chinoises de s’installer à l’étranger et d’apporter la technologie occidentale en Chine, ce qui a conduit cette dernière, pour la première fois, à déposer le plus grand nombre de brevets dans le monde en 2019[6]. Les Etats-Unis estiment que la Chine est en infraction avec les règles de l’OMC, et l’accusent de porter atteinte au droit de la propriété intellectuelle de ses entreprises, en leur imposant le transfert de leurs technologies en contrepartie d’un accès au marché chinois[7].
A côté de l’émergence de l’Empire du milieu, on note également, mais dans une proportion moindre, l’émergence d’autres puissances :
1.L’Union Européenne utilise la puissance normative (soft power) pour s’élargir, mais reste confrontée à sa dépendance de l’OTAN et à la crispation de ses grands Etats membres, qui ne veulent pas déléguer la moindre souveraineté nationale, on peut citer l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie et la Pologne. Pour ces deux raisons, l’Europe peine à avoir une politique commune sur les grands dossiers, comme par exemple : sa division au sujet de l’attitude à avoir vis-à-vis de la Russie, sa dépendance énergétique, l’instabilité de plusieurs pays voisins à sa frontière, sa division au sujet de l’immigration, au sujet de la réponse économique à donner à la pandémie du Covid 19…
2. La Russie est une puissance militaire et énergétique. Elle a développé une diplomatie énergétique lui permettant d’exercer une pression constante sur l’Europe dépendante. Sous l’influence du puissant mouvement géopolitique Eurasien d’Alexandre Douguine, la Russie développe une stratégie d’accès aux mers chaudes par trois axes : l’axe Moscou-Berlin, l’axe Moscou-Tokyo et l’axe Moscou-Téhéran[8]. Elle reste néanmoins confrontée à plusieurs défis : son économie dépendante de l’énergie et des ventes d’armes, sa démographie négative, et ses problèmes intérieurs liés aux peuples turcophones.
[8] Pierre Fayard, Comprendre et appliquer Sun Tzu. La pensée stratégique chinoise : une philosophie en action, Éditions Dunod, 2004.
[9] Chen, Shu-Ching Jean (2008-06-25). “China’s ‘Go Out’ Policy A One-Way Street”. Forbes magazine.
[10] Pomfret, John (27 August 2018). “China’s debt traps around the world are a trademark of its imperialist ambitions”. Washington Post. Archived from the original on 22 May 2019. Retrieved 2018-09-15.
[11] China Surpasses the US to become the World’s Top Patent Filer ; Intellectual Property Rights News Patent, April 9, 2020.
[12] Chine : Certaines mesures concernant la protection des droits de propriété intellectuelle
https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/cases_f/ds542_f.htm
[13] Anton Barbashin and Hannah Thoburn, Putin’s Brain, Alexander Dugin and the Philosophy Behind Putin’s Invasion of Crimea ; Foreign Affairs, March 31, 2014.
- L’Inde se projette vers l’océan indien et vers l’Asie du Sud-Est dans le cadre de sa stratégie ‘Look East policy’, où elle se rapproche des pays de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est) pour éviter qu’ils ne tombent complètement dans les mains de la Chine. Pour ça elle a l’appui de son allié américain. En politique étrangère, elle utilise l’art de la duplicité exposé dans le Mahabharata : « porte ton ennemi sur ton épaule jusqu’à obtenir de lui ce que tu souhaites, puis jette-le bas, piétine-le, anéantis-le, comme un pot de terre fracassé contre un rocher ». L’Inde fonde sa géopolitique sur le concept du Mandala développé dans l’Arthasastra (320 av. J.-C.)[9]. Dans ce concept, l’Inde se trouve au centre du cercle, entourée par un anneau d’adversaires (Chine et Pakistan), puis par un second anneau d’adversaires de l’adversaire, c’est-à-dire, les amis (Russie et Iran). Le problème de l’Inde c’est son contentieux sur le Cachemire avec son voisin également nucléaire, le Pakistan.
- Le Japon retrouve la voie de la normalisation militaire pour devenir une puissance régionale moyenne indépendante des USA. Il est face à des défis, comme sa démographie négative, ses conflits avec ses voisins sur les îles voisines, et la menace nucléaire Coréenne.
- Le Brésil est une puissance énergétique riche en pétrole et en biocarburants de la canne à sucre. Sa géopolitique est fondée sur le contrôle de l’Amazonie, la promotion des relations sud-sud, et la projection vers l’Antarctique et l’Afrique de l’Ouest[10]. Il est également membre du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
- La Turquie joue un rôle important dans l’acheminement des hydrocarbures vers l’Europe. Entre elle et la Russie, il y’a une interdépendance énergétique, mais en même temps, ces deux pays luttent pour les mêmes sphères d’influence. La Turquie est de plus en plus présente économiquement en Afrique, en Amérique latine, en Asie et en Europe[11]. Sa popularité a augmenté dans le monde arabe. Par contre, elle est confrontée à la question kurde et chypriote et a un problème d’identité partagé entre Occident et Orient.
L’émergence rapide de toutes ces puissances est une conséquence de la politique interventionniste des États-Unis. Parmi ces puissances, seule la Chine se positionne en qualité de ‘peer-competitor’, c’est-à-dire la seule capable de rivaliser pour devenir l’hégémon mondial. En effet, la Chine répond aux quatre qualités requises pour le devenir[12] :
- Sa puissance sous ses deux formes :
- Le soft power avec son modèle culturel appelé ‘rightful place under heaven’, une alternative au modèle américain ‘the Manifest Destiny’. Ce modèle est destiné à rassurer ses voisins qui s’inquiètent de la menace croissante, mais le problème est que dans le passé, à chaque fois que la Chine impériale était puissante, elle étendait son territoire grâce à ses expéditions militaires, notamment pendant les dynasties Ming et Qing.
- Le hard power avec sa puissance militaire notamment maritime, la Chine s’est dotée en 2019 de son deuxième porte avion, le premier 100% chinois.
- Sa motivation qui s’exprime par sa volonté de remettre en question le statu quo.
- Sa présence partout dans le globe ‘global scale’, surtout dans les régions sensibles, et dans les régions riches en matières premières.
- L’issue douteuse (outcome in doubt) d’une éventuelle guerre hégémonique, étant donné qu’une victoire des États-Unis n’est pas garantie.
[14] Piggott, Prehistoric India
[17] THÉRY Hervé, 2016, Le Brésil, pays émergé, coll. Perspectives géopolitiques, Armand Colin, Paris.
[18] Peter Pham, « Turkey’s return to Africa », World Defense Review, 27 mai 2010.
[19] Thomas S. Szayna, The Emergence of Peer Competitors: A Framework for Analysis.
Pour consolider cette position de ‘peer-competitor’, la Chine a engagé des réformes économiques et politiques, en développant son milieu rural avec l’ancien président Hu Jintao, et en réformant ses institutions. Elle a également renforcé la cohésion sociale de sa population, avec le développement de sa société civile, et le retour au bouddhisme dans sa version chinoise et au confucianisme. Ce retour renforce le modèle hiérarchique de Confucius (500 av. J.-C.) : « le souverain remplit ses devoirs de souverain, le ministre ses devoirs de ministre, le père ses devoirs de père et le fils ses devoirs de fils »[13]. En réalité, la Chine ne limite pas sa vision hiérarchique à sa propre société, mais voit le monde entier comme une pyramide dont elle est le sommet et les autres états ses partenaires. A l’inverse, l’Occident a une vision polaire du monde (balance of Power).
Au-delà de ces réformes internes, la Chine a augmenté sa sphère d’influence étrangère par des liens économiques, rendant de nombreux pays dépendants d’elle, sous peine d’écroulement s’ils viennent à rompre leurs relations avec elle. Nous pouvons citer, à titre d’exemple, les pays de l’ASEAN, l’Arabie Saoudite pour laquelle la Chine est le premier client pétrolier, l’Iran, l’Irak, la Turquie, l’Afrique du Sud, l’Angola… et les USA eux-mêmes. Avec les grandes puissances émergentes, la Chine a noué des alliances, comme au sein du BRICS, dans le cadre de sa politique Sud-Sud promue par le courant politique chinois ‘Global South School’, et de l’organisation de coopération de Shanghai (OCS) promue par le courant ‘Asia First’, sans parler du projet pharaonique des nouvelles routes de la soie[14]. Ce projet comprend plusieurs routes maritimes, terrestres et ferroviaires à travers plusieurs pays de l’Eurasie, dans un but de développement, mais aussi de contournement de la Mer de Chine en cas de conflit. Ce projet concernera 160 pays et plus des 2/3 du PIB mondial, et coûtera plusieurs trillions de dollars[15].
[18] Chang Hao, « New Confucianism and the Intellectual Crisis of Contemporary China », in Charlotte Furth (éds), Limits of Change : Essays on Conservative Alternatives in Republican China, Harvard University Press, 1976, p. 276- 302.
[19] Brice Pedroletti, « « Nouvelles routes de la soie » : les ambitions planétaires de Xi Jinping », Le Monde, 4 août 2017
[20] Edouard Pflimlin, « La Chine veut restaurer la Route de la soie, non sans périls », Le Monde.fr, 15 mai 2017
Nouvelles routes de la soie
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/routes-de-la-soie
Malgré le génie américain, les États-Unis n’échappent pas à la règle générale de la psychologie humaine : imaginez une course de 4x400m relais, quand le premier coureur d’une équipe a plusieurs longueurs d’avance sur ses adversaires, le deuxième de la même équipe a tendance à se relâcher jusqu’à perdre le rythme; quand l’écart se réduit, il ne retrouve plus le deuxième souffle; sous la pression du chronomètre, le troisième et le quatrième coureurs de cette même équipe, qui doivent rattraper le retard cumulé par le deuxième, passent désespérément de tactique en tactique pour assurer leur position. Les États-Unis subissent le même sort que ces coureurs : ayant plusieurs longueurs d’avance sur leurs adversaires à la fin de la guerre froide, leur politique de l’échiquier menée dans la région du Golf par les néo-conservateurs, avec Bush à leur tête, a relâché leurs efforts dans le reste du monde. Pendant ce temps, la Chine a réduit l’écart dans la course. Les États-Unis laissent tomber les néo-conservateurs et leur politique coercitive (70 % bâton, 30 % carotte), et engagent un retour de la ‘Realpolitik’ avec l’arrivée du courant Hamiltonien en la personne d’Obama. Ce courant prône le pragmatisme et le réalisme. Ils essayent tant bien que mal de retrouver le souffle, mais, pressés par le temps, ils passent de stratégie en stratégie et de courant politique en courant politique. Ils tentent la conciliation diplomatique par le biais d’une stratégie appelée ‘Systèmes Bismarckiens’, en référence au chancelier allemand Bismarck. Dans ce système, les États-Unis nouent de fortes alliances avec toutes les puissances émergentes, pour les rendre dépendantes et les empêcher de s’allier entre elles[1]. Cette stratégie n’a pas suffi pour ralentir le coureur chinois, car la capacité de persuasion des Etats-Unis a faibli pendant la course. L’arrivée de Trump signe un nouveau changement politique, cette fois vers un ‘courant Jacksonien’ en référence à Andrew Jackson, un courant isolationniste, qui au nom de l’intérêt national, n’hésite pas à recourir à une politique de cooptation (70 % carotte, 30 % bâton). Cette politique a été rendue visible récemment par la pression qu’exerce les USA sur la Chine. La discontinuité dans la politique américaine, en raison du changement fréquent de courant et de stratégie, contraste avec la continuité dans la politique chinoise, imputée au parti unique et à la centralisation des décisions.
La tension grandissante entre les deux puissances témoigne, comme l’expliquait Abramo Organski dans ‘théorie de la transition du pouvoir’, de la forte instabilité de l’équilibre de ce monde uni-multipolaire en transition, qui met en course l’hégémon américain et le ‘peer-competitor’ chinois[2]. Le risque est de voir l’une ou l’autre puissance ne plus reconnaître les instances internationales régulatrices, garantes de la stabilité, et par conséquent, fragiliser le multilatéralisme. Cette situation nous rappelle le retrait des USA de l’accord de Paris sur le climat, leur retrait du traité sur les missiles nucléaires à portée intermédiaire, leur retrait des accords sur le nucléaire iranien, leur retrait récemment annoncé de l’OMS, et surtout le blocage en Décembre 2019 de l’organe de règlement des différends de l’OMC, accusé par Trump de dysfonctionnement. Ce dernier menace même de se retirer de l’organisation, si elle ne révise pas le statut de la Chine qui selon lui, usurpe son statut de pays en voie de développement pour en tirer avantage. A ce sujet, l’Union Européenne partage la même position que les USA. Si tel est le cas, le monde risque de verser dans un système d’anarchie, où chaque état cherchera à s’armer pour survivre, dans une sorte de dilemme de sécurité, c’est ce qu’on appelle en politique : le ‘self help de Waltz’[3].
Avant d’étudier les portes de sortie de la forte instabilité de cet équilibre, il convient d’examiner la vision de chacune des deux grandes puissances :
Les États-Unis sont en faveur d’un système de polarité, en équilibre moins instable, et possible si on respecte les règles de Morton Kaplan, que le politologue cite dans son livre ‘System and Process in International Politics’[4]. Ces règles sont :
- La négociation.
- La non humiliation de l’adversaire, car les intérêts sont éternels, pas les alliances, l’ennemi d’hier peut devenir l’ami d’aujourd’hui.
- Empêcher une puissance de chercher la gouvernance globale.
Pour y parvenir, les États-Unis recourent aux ‘Systèmes Bismarckiens’ d’alliances, que nous avons expliqué plus haut, à la stratégie triangulaire[5], où les bases maritimes forment des triangles pour dominer les mers, comme le faisaient les Britanniques avant, et à ce qu’on appelle : le ‘Offshore Balancing Power’[6], c’est-à-dire, la création d’un ‘Complexe Régional de Sécurité’, pour venir en aide au pays le plus faible, lorsqu’un dilemme de sécurité balance en faveur d’une puissance. Cette stratégie a bénéficié à l’Afghanistan face à l’Inde, à la Corée du Sud et au Japon face à la Chine, aux pays de l’Asie du Sud-Est face à la Chine dans leur conflit de la Mer de Chine méridionale. Tous ces pays craignent la domination de la Chine, et voient d’un bon œil la présence dans la région de la septième flotte américaine, la plus importante.
[21] Henry Kissinger, Diplomatie, éd. Fayard, 1996, p. 123.
[22] Organski, A. F. K.; Kulger, Jacek. “The Power Transition: A Retrospective and Prospective Evaluation”.
[23] Waltz, Kenneth N., Theory of International Politics, Addison-Wesley, 1979.
[24] Kaplan, Morton A. System and Process in International Politics. New York: John Wiley, 1957.
[25] Tanguy Struye de Swielande, Asie-Pacifique : Grand Strategy de réaffirmation face à la Chine ; Outre-Terre 2014/1 (N° 38), pages 330 à 341.
[26] Cf. Christopher Layne, « The (Almost) Triumph of Offshore Balancing », The National Interest, 27 janvier 2012.
Stratégie triangulaire : La triple défense du Pentagone dans le Pacifique.
https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2014-1-page-330.htm
Stratégie triangulaire : Diego Garcia au cœur du dispositif de défense du Pentagone dans l’océan Indien.
https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2014-1-page-330.htm
Si les États-Unis veulent protéger le système de polarité, les Chinois, quant à eux, veulent une organisation hiérarchique, comme nous l’avons vu plus haut. Ils disposent aussi de moyens de pression sur les USA et leurs alliés, comme par exemple, le contrôle de 90% des terres rares indispensables à la haute technologie, le rachat des dettes des USA (800 Md$) et de l’Union Européenne (630Md€)[1]…
Théoriquement, cette disparité dans les points de vue entre les deux puissances, peut conduire au pire, et le pire c’est une guerre hégémonique. Une telle guerre, si elle doit avoir lieu, son facteur déclenchant serait probablement le conflit sur les îles Spratley et Paracels, entre la Chine et ses voisins de l’ASEAN, un conflit très sensible, impliquant les Etats-Unis, qui appliquent dans la région, la politique d’engagement-endiguement, et contrôlent la route maritime allant du détroit de Malacca au détroit de Taiwan. L’ASEAN est considéré comme le Rimland asiatique : le concept de Rimland a été développé par Spykman en 1942. Il s’agit d’une zone tampon entre la puissance maritime et la puissance terrestre (Heartland). Si le Rimland est contrôlé par une puissance maritime, le Heartland ne peut dominer le monde. C’est pour cette raison que les deux puissances Américaine et Chinoise font tout pour contrôler les pays de l’ASEAN[2].
Pays de l’ASEAN : Rimland asiatique
https://www.wikiwand.com/fr/Bassin_Indo-Pacifique
[27] Wen: China will continue to buy European debt, EUobserver.com, 27 juin 2011
[28] Charles A. Fisher, “Containing China? II. Concepts and Applications of Containment”, dans The Geographical Journal, vol. 137, No. 3 (1971), p. 297
Pour rappel, sur les quinze dernières transitions de pouvoir qu’a connues le monde, onze l’ont été par guerre hégémonique. Les transitions de pouvoir qui ont eu lieu sans guerre, l’ont été ainsi, parce que le modèle n’avait pas été remis en question. L’exemple le plus récent est la dernière transition entre les Britanniques et les Américains.
Dans le cas actuel, la Chine a sa propre culture vieille de 5000 ans, ce qui laisse penser qu’elle imposerait son propre modèle. En réalité, elle est confrontée à plusieurs contraintes :
- Son ancrage dans le système actuel et dans les institutions internationales.
- Sa grande dépendance énergétique et économique.
- Son interdépendance des biens communs mondiaux.
- La présence à ses frontières de l’OTAN, dans les pays de l’Asie centrale.
- L’émergence nucléaire de l’Inde, pays rival.
- La résistance du Japon et de Taiwan.
Ces contraintes feraient en sorte que la Chine n’aurait d’autres choix qu’adhérer au multilatéralisme, et opter pour le soft Power. Cette vision est celle du courant politique chinois le plus important : le courant réaliste, qui met l’accent sur la souveraineté, l’environnement international, et la volonté d’effacer un siècle d’humiliation. Il est donc fort probable que la Chine ne remette pas en question l’entièreté du modèle actuel. Pour preuve, elle n’a pas cessé d’accroître sa présence dans les institutions internationales, par exemple, 4 chinois à la tête des 15 instances onusiennes, la Chine est le 2ème contributeur financier de l’ONU et le premier de l’UNESCO, elle fournit de plus en plus de casques bleus… Chaque fois que les USA se retirent de la scène mondiale, la Chine fait preuve d’opportunisme dans la course vers le leadership. Elle aurait récemment, selon le New York Times, décidé de donner 2Md$ à l’OMS, pour lutter contre le coronavirus, en réponse à la décision de Washington de rompre ses relations avec cet organisme[1].
En plus, la Chine semble vouloir éviter de provoquer une guerre hégémonique, en évitant de rentrer en conflit armé avec ses voisins du Sud-Est, en ce qui concerne le contrôle de la Mer de Chine. En effet, la Chine cherche d’autres alternatives de contournement du détroit de Malacca, comme la construction d’un pipeline qui passe par le Myanmar pour rejoindre l’Océan Indien, la route de la soie maritime et terrestre, et le collier de perle portuaire[2].
Pour les États-Unis, si le modèle ne change pas, leurs intérêts resteraient préservés, et il n’y aurait pas beaucoup de raisons pour prétendre à une guerre hégémonique, d’autant plus que les deux puissances sont nucléaires, et en principe, deux puissances nucléaires ne se font jamais la guerre, à moins de s’auto-anéantir mutuellement, c’est ce qu’on appelle la destruction mutuelle assurée.
Si Clawzwitz définissait la guerre comme la continuation de la paix par d’autres moyens, à l’ère du nucléaire, cette formule s’inverse : la paix est la continuation de la guerre par d’autres moyens. On parlera donc d’une paix froide, qui contrairement à une guerre froide, et bien que marquée par des niveaux similaires de tension et de méfiance, exclut tout recours à la force.
Les prémices de cette paix froide sont actuellement visibles sous un angle de tensions commerciales croissantes entre USA et l’Empire du milieu.
[29] U.S.-China Feud Over Coronavirus Erupts at World Health Assembly, The New York Times, Published May 18, 2020
[30] Birmanie : un gazoduc qui renforce la stratégie d’approvisionnement énergétique chinoise en Asie du Sud-Est; Monde chinois 2013/3 (N° 35), pages 113 à 115.
Cependant, ces deux superpuissances n’ont d’autres choix que de coopérer. La preuve en est, les deux pays passent d’accord en accord, mais ne peuvent rompre définitivement le cordon. Pas plus tard que le mois de Mai 2020, et en dépit de la crise du coronavirus, ils ont convenu de mettre en œuvre leur accord du début de l’année, qui entre autres, engage la Chine à augmenter de 200Md$ en deux ans, ses achats de produits américains[1].
La crise actuelle liée au coronavirus est d’une ampleur que le monde n’a plus connue depuis 75 ans. Elle bouleverse la vie des individus et met en péril l’économie mondiale. Elle a surtout illustré la difficulté des états à gérer ensemble leurs problèmes communs, et en prévenir les conséquences. Cette crise n’a fait que révéler un manque de leadership mondial, un unilatéralisme flagrant et un blocage systématique, causé par le choc sino-américain. En conséquence, une redistribution des cartes entre les grandes puissances est plus que probable. Nous assisterions, probablement pour un certain temps, à un retour des états à un isolationnisme et souverainisme relatifs, avec une relocalisation d’une partie de la production.
Un système bi-multipolaire est désormais déjà en place, avec deux super-puissances : américaine et chinoise, suivies de quatre grandes puissances qui sont la Russie, l’Inde, l’Union Européenne, et le Brésil. Ce système reste en équilibre très instable, car, en raison de la proximité de puissance des deux belligérants, chaque état pourrait être tenté de déclencher une guerre, s’il voit une chance de la gagner. La différence entre le dualisme USA-URSS et celui USA-Chine, est que le premier était sous forme d’une puissance maritime contre une puissance terrestre, tandis que dans le second, les deux puissances sont maritimes et se battent pour les mêmes sphères d’influence.
Dans la loi naturelle des êtres vivants, pour qu’il y ait un équilibre moins instable, il faut une situation de darwinisme social où il y’aurait un dominant et un dominé, ou une situation telle que les groupes belligérants se méfieraient les uns des autres en raison des changements imprévus dans les alliances. La première situation est peu probable, car les États-Unis n’accepteront pas de devenir numéro deux, et la Chine n’acceptera pas de rester numéro deux. Une paix chaude, avec un numéro un et numéro deux, n’est donc pas envisageable. Seule la deuxième situation, avec le rapprochement en puissance des autres pays émergents, pour aller vers un système multipolaire, permettrait de retrouver un équilibre moins instable grâce au jeu d’alliances, comme lors du congrès de Vienne de 1815 où plusieurs puissances coexistaient. Ce rapprochement est plus que probable, en raison du ralentissement conjoncturel de croissance des plus puissants. La croissance de la Chine, par exemple, connaitrait sans doute un frein, en raison de la bulle immobilière, d’un manque de main d’œuvre prévisible par le vieillissement de la population, et de l’augmentation des salaires responsables d’une diminution de bénéfice des sociétés, qui seraient tentées de se déplacer ailleurs. On peut également noter parmi les faiblesses de la Chine, la limite des ressources énergétiques et les problèmes de l’environnement, les inégalités sociales et géographiques, et les tensions dans les territoires abritant des minorités ethniques qui réclament leur indépendance, comme le Tibet et le Xinjiang[2]. A côté de ça, l’Empire du milieu est vu par plusieurs pays sous un profil d’hégémonie au lieu d’un profil de leadership. Ces pays redoutent sa présence de plus en plus marquée dans les institutions internationales. Son image en Afrique s’est graduellement détériorée, et sa présence dans le continent commence à inquiéter les Africains eux-mêmes, qui réalisent que le partenariat annoncé initialement comme gagnant-gagnant, n’est qu’un marché de dupes[1].
[31] Frédéric Lemaître et Arnaud Leparmentier, Vers une détente commerciale sino-américaine ; Le Monde, 15 janvier 2020.
[32] Ursula Gauthier, Tibétains et Ouïgours, ces minorités « barbares » que la Chine réprime sans relâche. L’OBS, 18 novembre 2019.
En effet, dans un système multipolaire, la dissuasion nucléaire et le jeu très variable des alliances, induisent une méfiance entre les différentes puissances, qui n’auraient d’autres choix que de coexister, et d’éviter tout conflit armé synonyme de suicide nucléaire assuré. Cette méfiance rappelle en physique les équilibres dynamiques moins instables, où les forces en présence se tiennent l’une l’autre et se neutralisent avec un minimum relatif d’énergie potentielle, c’est-à-dire un minimum de capacité d’action. Si l’une des forces s’écarte de la position d’équilibre, les autres forces la ramènent à sa position initiale. L’inconvénient des systèmes en équilibre moins instable, c’est leur manque de dynamisme. En comparaison à ce principe physique, dans le cas d’un système multipolaire marqué par la dissuasion nucléaire, la capacité d’action se déplacerait très probablement du niveau militaire vers le niveau économique où elle retrouverait sa force. On assisterait à un équilibre économique plus dynamique mais très instable, et un équilibre de force militaire moins dynamique et moins instable. La confrontation ne serait plus armée, elle serait économique. Le conflit prendrait la forme d’une course à la recherche de nouveaux marchés, et à l’élargissement de la sphère d’influence. Désormais, la puissance se mesurerait par la capacité d’attraction du modèle que chacun proposerait (soft power).
La plupart des pays faibles deviendraient ainsi économiquement dépendants de la puissance à laquelle ils seraient tributaires. Ces pays seraient les plus grands perdants du nouvel ordre mondial. L’écart entre les différentes puissances dépendrait de l’élan économique que ferait l’un par rapport aux autres. Ainsi, nous verrions de grandes puissances perdre de leur puissance, pendant que d’autres pays, capables d’anticiper ce nouvel ordre, grandiraient et rejoindraient la sphère des grands. Les gagnants seraient les pays qui ne se laisseraient pas entrainer dans une confrontation économique acharnée et malsaine. Le jeu des alliances ouvrirait la voie à une économie de coopération, une ouverture commerciale à somme positive, c’est-à-dire que toutes les parties y gagneraient.
Les différentes puissances de ce système multipolaire n’auraient pas d’autres choix que d’assurer ensemble le nouvel ordre politique, en participant à la re-écriture des règles du jeu de la mondialisation. En effet, les problèmes communs non encore résolus, auxquels fait face le monde, montrent que les institutions et les accords sont encore insuffisants. Les règles sur la propriété intellectuelle, la protection des biens communs mondiaux, comme les ressources naturelles énergétiques et hydriques, et les émissions de gaz à effet de serre, doivent être revues ; le contrôle des activités illicites se ferait sans doute par le bannissement du cash au profit de la monnaie virtuelle, un bannissement synonyme de traçabilité. Par contre, s’il faut palier à l’insuffisance des institutions, il faut aussi savoir préserver les acquis, comme le corpus législatif complet au sein de l’OMC, dont notamment l’organe de règlement des différends.
En conclusion, le système bi-multipolaire avec deux super-puissances à la tête, talonnées par des puissances émergentes, tiendrait probablement en place pour une durée aussi courte que celle tenue par le système uni-multipolaire qui est en train de toucher à sa fin, et ce en raison du caractère très instable de l’équilibre de ces deux systèmes. Un système multipolaire en équilibre de puissance moins instable s’imposerait, mais sa construction est un grand chantier non sans conséquences. Il s’accompagnerait sans doute d’une asymétrie croissante entre pays, au profit des plus puissants, et d’un rôle croissant des acteurs privés comme les banques, les cabinets d’audit…, rôle mis en évidence par Robert Cox dans le “rôle des classes sociales dominantes comme organisatrices de la mondialisation”[1]. Nous avons, à titre d’exemple, récemment vu la fondation Bill et Melinda Gates, financer à coup de milliards de dollars, la recherche concernant la maladie du Covid-19. Ceci prouve que les USA ne sont pas réellement absents, même s’ils se sont retirés de l’OMS.
[33] Emmanuel Véron, Les Africains embarrassés par une présence chinoise devenue étouffante https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/les-africains-embarrasses-par-une-presence-chinoise-devenue-etouffante_3510143.html
Même si je pense que les prochaines élections présidentielles américaines du 03 Novembre devraient maintenir au pouvoir une politique Jacksonienne isolationniste, indispensable pour les USA à court terme, pour continuer la pression sur le concurrent chinois, le moyen terme devrait connaître un nouveau revirement dans la politique américaine. Le courant politique Jacksonien céderait la place au courant Wilsonien, en référence au président Woodrow Wilson, qui préconisait le multilatéralisme. L’unilatéralisme se ferait remplacer par un multilatéralisme, seule voie de la prospérité dans un monde à plusieurs acteurs majeurs. Ce multilatéralisme a été porté, bien avant Wilson, par le philosophe Emmanuel Kant dans le ‘Projet de Paix perpétuelle’ en 1795[2], où il y formulait des conditions pour créer une vraie paix permanente. Ces conditions étaient les prémices de la ‘théorie de la paix démocratique’. Celle-ci ne peut être soutenue que si les acteurs dominants respectent la souveraineté des autres états, y compris les états économiquement dépendants. Si tel n’est pas le cas, même les états les plus puissants militairement pourraient être mis en difficulté, dans une guerre transformée, liée à une faillite dans la gestion des problèmes liés à la migration, la drogue, le terrorisme et les pandémies.
Le multilatéralisme serait la seule voie en mesure d’affronter des problèmes de plus en plus fréquents, de type pandémiques, climatiques, économiques et sécuritaires. En attendant, l’unilatéralisme actuel fragilise les alliances et aboutit à un multilatéralisme à géométrie variable, comme les groupes informels de contact, à titre d’exemple, les contacts entre les différents laboratoires de recherche dans le cadre du Covid-19, ce qui en soi pourrait s’avérer positif.
Bruxelles, le 06 Juin 2020